L’administration communale d’Ixelles (Bruxelles) avait formulé une demande claire : donnez à nos jeunes une place dans notre quartier. Mais comment créer une place pour des ados dans une partie complexe, très dense, de la capitale ? Ont-ils véritablement envie d’un lieu délimité, bien en vue ? Ne préfèrent-ils pas traîner dans des endroits indéfinis, plutôt à l’abri des regards ? Et en supposant qu’un lieu leur soit affecté, à quel programme précis celui-ci doit-il répondre ? Carton123 a accepté de relever ce défi complexe ; en collaboration avec l’ASBL Jes, le bureau a consulté les jeunes du quartier pour concevoir ensemble la maison des jeunes Malinard, en service depuis le printemps 2021.
Ces dix dernières années, l’administration communale d’Ixelles avait déjà fait quelques tentatives pour répondre – dans le cadre du contrat de quartier Malibran – à la demande des jeunes du quartier qui souhaitaient davantage d’espace de jeu : une petite plaine de jeux a été aménagée dans la Petite Rue Malibran (L’Escaut, 2010) et une maison de quartier socioculturelle a été construite dans la rue de la Digue (Ledroit Pierret Polet – Label, 2014). Toutefois, aucun de ces deux sites ne tenait réellement compte du groupe cible des adolescents.
Il n’est pas simple de concevoir des lieux pour les jeunes en milieu urbain. Souvent, les choses se corsent dès qu’il s’agit de définir le groupe cible étant donné qu’un ado de 12 ans n’a pas les mêmes envies qu’un jeune adulte de 18. Pour satisfaire « tout le monde », particulièrement dans un quartier tel que Malibran où l’espace public est un domaine exclusivement masculin, il existe un expédient : aménager un petit terrain de foot, en négligeant purement et simplement la plupart des filles. Mais pas cette fois ! En 2016, l’administration a lancé un concours, avec une mission claire et limpide : réaffecter en maison des jeunes l’immeuble sis au coin de la Petite Rue Malibran. Il fallait qu’elle accueille un studio de musique et d’enregistrement, mais pour le surplus, le programme ne comportait aucune autre précision.
Pour préparer ce concours, Carton123 est allé voir ce qui se passait du côté de la Maison des Jeunes Chicago au centre de Bruxelles. C’est ce qui a contribué à leur inspirer la future maison des jeunes à Ixelles. Ce qui est d’emblée apparu comme une évidence, c’est que les jeunes veulent effectivement des lieux indéfinis : quelques fauteuils, une bonne connexion wi-fi et un kicker. Mais contrairement à la Flandre, où les maisons de jeunes sont souvent des salles des fêtes, Bruxelles vise également les enfants un peu plus jeunes qui n’ont quasi pas de place chez eux pour faire leurs devoirs ou pour étudier, ainsi que les « brosseurs » qui, sinon, traîneraient dans les rues.
Un lieu de surcroît discret pour accueillir les enfants que leurs parents n’autorisent en réalité pas à venir. Le souhait de la commune de construire un pavillon vitré en connexion avec la rue a donc rapidement été éliminé par les architectes. Ils ont toutefois proposé un bâtiment ouvert et lumineux, avec une coupole, un patio intérieur autour duquel sont agencés tous les espaces, ainsi que de grandes fenêtres qui s’ouvrent sur la petite place. Côté rue, le bâtiment est fermé par une façade quasi aveugle, tandis que la grande baie vitrée côté place peut également être totalement fermée pour préserver l’intimité des lieux. Le projet de Carton123 a été retenu parce qu’il tenait compte des besoins auxquels la maison de quartier Malibran de la rue de la Digue n’était pas en mesure de répondre : pas de grandes salles pour des activités organisées à la maison des jeunes, mais une petite maison avec de nombreuses pièces. « Un lieu où les jeunes peuvent se sentir chez eux », déclare l’architecte Joost Raes.
Pour peaufiner le programme, après avoir remporté le concours, Carton123 a organisé avec l’ASBL Jes quelques rencontres participatives pour permettre aux jeunes eux-mêmes d’exprimer leurs souhaits pour « leur » maison. Il s’est avéré que le studio de musique et d’enregistrement imaginé par la commune pour faire plaisir aux jeunes ne les intéressait absolument pas. Il a donc rapidement disparu du projet, au bénéfice de plus de place pour regarder des films ensemble, s’adonner au gaming ou disputer un match de kicker ou de ping-pong. Au-delà du programme, les jeunes ont également été consultés pour des éléments très concrets du projet comme l’emplacement du bureau du coordinateur tout près de l’entrée, là où le bâtiment forme un angle. La commune redoutait que cette position panoptique soit perçue comme trop contrôlante. Mais les ados ont au contraire estimé que cet emplacement était très bien parce qu’il leur procurait un sentiment de sécurité, indispensable pour se sentir chez soi et à l’abri.
Le programme et sa situation exigent que le bâtiment puisse être un peu malmené. La maison des jeunes possède une architecture sobre et robuste, ce qui n’a pas empêché Carton123 de chercher une esthétique soignée, voire parfois ludique. La façade côté rue est composée de blocs en béton pigmenté en rouge, empilés de manière à créer un graphisme raffiné. Côté plaine, un grand volet coulissant en métal dont les perforations rondes apportent un côté ludique protège le bâtiment contre les intrusions. Quant au motif à rayures bleues et blanches qui orne les portes du rangement extérieur directement accessible depuis la place, il évoque les cabines de plage. Dès que le soleil revient, il suffit de sortir les chaises longues et les parasols, de les installer sur la place et de se lancer dans une compétition de pétanque.
Vu la pandémie, le bâtiment est resté vide pendant plus d’un an, ce qui ne lui a pas été bénéfique. La façade extérieure a été endommagée et un cocktail Molotov a été lancé sur la fenêtre. Mais depuis février 2021, le bâtiment est en service. « Nous sommes ouverts 5 jours sur 7, toute la journée, pour les garçons et les filles de 12 à 26 ans. Nous récupérons les plus jeunes après l’école, tandis que les plus âgés peuvent venir n’importe quand dans la journée », explique le coordinateur de la maison des jeunes Pablo de la Rasilla. « Nous organisons des ateliers – musique, photographie, montage vidéo, potager… – pour leur apprendre à s’exprimer de manière créative. En faisant des choses ensemble, nous contribuons à émanciper et à valoriser les jeunes dans la société. » Comme cet endroit est un point de chute pour les jeunes, c’est tout le quartier qui revit. « L’essentiel de notre rôle consiste à gagner la confiance des jeunes et du voisinage. Dès que les jeunes ne sont plus automatiquement considérés comme une nuisance, mais comme des concitoyens qui participent à la vie du quartier avec tout l’enthousiasme de leur jeunesse, notre mission est réussie. C’est pourquoi cette maison ouverte était véritablement nécessaire. Son impact est déjà considérable. J’y crois dur comme fer. »