Conçue par Xaveer De Geyter Architecten, la Provinciehuis d’Anvers est un bâtiment aussi impressionnant que photogénique. Les ingénieurs du bureau allemand Bollinger+Grohmann ont imaginé une structure intelligente qui permet à la tour de s’élever malgré sa forme inhabituelle.
En 1960, Ada Louise Huxtable résumait d’une phrase le juste équilibre à tenir entre construction et architecture : « La fusion entre la fonction structurelle et la forme abstraite crée une sorte de bâtiment qui est fondamentalement tellement juste que toutes les autres architectures semblent devenir superficielles. » Ada Louise Huxtable parlait alors de Torino Esposizioni, le centre des expositions de Turin conçu en 1948 par Pier Luigi Nervi. « Les grandes arêtes cintrées de la voûte unissent leurs forces de manière visible dans l’éventail qu’elles forment sur le côté du hall et reportent ces forces sur les contreforts robustes et esthétiques situés dessous. » Ainsi, les bâtiments affichent leur victoire dans la lutte contre la pesanteur sans pour autant paraître trop triomphants ni trop lourds, mais sans non plus la dissimuler.
S’il est bien un bâtiment récent qui incarne ce combat en Belgique, c’est la Provinciehuis d’Anvers conçue par Xaveer De Geyter Architecten, en collaboration avec le bureau allemand d’ingénieurs Bollinger+Grohmann pour la structure. La Provinciehuis est souvent décrite comme un objet ou une icône spectaculaire. Lors d’un entretien avec Sarah Whiting pour le dernier numéro d’El Croquis consacré à l’œuvre de XDGA, De Geyter parlait d’un « volume tordu qui donne naissance à un objet iconique », ajoutant : « Nous ne voulons pas que tous nos bâtiments deviennent des objets. Une ville constituée d’objets et d’icônes n’aurait pas grand sens. Mais dans ce cas exceptionnel, vu l’implantation du bâtiment dans son environnement et surtout vu le programme et le caractère représentatif, c’est sensé – voire indispensable. » La Provinciehuis a ceci de particulier que le bâtiment est intégralement une structure, comme si l’on n’avait fait que réunir des éléments cohérents. Ce projet est iconique et singulier par la manière dont la forme devient possible grâce à la construction. Mieux : le fait que cette architecture soit perçue comme un objet ou une icône est dû à la structure aussi limpide qu’ingénieuse, qui définit l’ensemble sans être à aucun moment ostensiblement présente.
Les huit étages supérieurs de la Provinciehuis pivotent vers le sud, l’angle nord-ouest servant d’axe de rotation. Chaque étage se place un peu plus en retrait du précédent. « L’effet est spectaculaire, écrivait Pieter T’Jonck dans A+276. Le nouveau bâtiment principal se tord littéralement dans des courbes qui préservent l’accès au magnifique jardin à droite du bâtiment et laissent entrer un maximum de lumière. » Cette rotation était le plus grand défi des ingénieurs, avec comme difficulté supplémentaire la conception du hall d’entrée, perpendiculaire au bâtiment principal, qui traverse l’espace comme une passerelle et crée ainsi une terrasse publique.
En 2017, alors que le bâtiment en était à peu près à mi-chemin de sa construction, Wim Jansen, Klaas De Rycke, Martin Eppenschwandtner et Philipp Eisenbach, travaillant tous chez Bollinger+Grohmann, ont consacré un article à la Provinciehuis dans le magazine Beton- und Stahlbetonbau. La Provinciehuis est paradoxalement supportée par l’élément qui incarne la rotation du bâtiment : la façade, dont les fenêtres et les murs sont constitués d’éléments triangulaires en béton armé blanc apparent. Selon les ingénieurs, « le principal défi pour la construction de la structure consistait à renforcer la tour en tenant compte à la fois de ses lignes inhabituelles générées par la rotation et des contraintes résultantes liées aux vents ». La façade porteuse et perforée permet par ailleurs de se passer de colonnes dans les étages, ce qui crée des portées de 19 à 25 mètres. D’autres éléments font toutefois également partie de la structure de la tour. Deux pôles de circulation en béton apparent noir contribuent à la rigidité du bâtiment, et les dalles de sol jouent elles aussi un rôle important dans la répartition verticale des charges. Aux quatrième et cinquième étages, trois structures en acier surmontent la partie basse du bâtiment : les membrures externes intégrées au béton, qui agissent en partie comme une construction composite, doivent épouser le cintrage du mur sans excéder à aucun endroit l’épaisseur de ce dernier.
L’histoire de la structure de la Provinciehuis compte encore bien d’autre épisodes passionnants, tels que les paramètres géométriques qui ont dû être étudiés, les motifs de l’armature en acier qui suivent et reflètent les forces en action, ou la combinaison des poteaux et des panneaux de fondation qui ancrent le bâtiment dans le sol. Nombre de ces épisodes ne sont pas seulement le fruit d’un fonctionnalisme éclairé semblable à celui qui caractérisait l’architecture de Pier Luigi Nervi ; ils révèlent surtout une sorte de formalisme fonctionnel et rationnel résultant de la prise de conscience que certains bâtiments publics ont le droit de se faire remarquer, peut-être plus encore au 21e siècle que par le passé. Tout édifice lutte contre la pesanteur, mais c’est par la conjonction de son architecture et de sa structure que la Provinciehuis est un bâtiment qui ne passe pas inaperçu.