GRUE soutient la notion de « lieu capable » dans son approche de l’espace public : donner de la « capacité » sans prédéfinir un seul usage ou dédier l’espace à une unique tranche d’âge. En prenant la mesure de la limite ténue entre un dispositif spatial intrusif et inclusif, ce chapelet de projets développe une façon plus délicate et ouverte de penser, accordant tant une place aux enfants qu’aux plus grands.
Initialement, ce projet comprend le réaménagement complet de trois espaces publics, encombrés ou totalement effacés. Situés en fond de vallée du Maelbeek, à deux pas de la place Jourdan, tous les trois résultent de lourdes modifications du tissu urbain entre 1965 et 1985. Le square Forte dei Marmi se trouve au bas de la rue Gray, le jardin « Sorelo » et le lieu-dit « Ranch » sur la chaussée de Wavre, au niveau du by-pass avec la rue de l’Étang. Malgré des situations stratégiques (lieu d’about ou d’articulation), aucun d’entre eux n’avait trouvé un agencement approprié. Le Contrat de quartier durable « Maelbeek » pointe la nécessité de penser l’enchaînement de ces espaces délaissés et de rendre plus visible la présence de l’eau.
La posture de GRUE est forte, tournée vers les publics et les usages multiples que ceux-ci attendent, à partir de l’identification des qualités inhérentes des trois lieux. À l’inverse de la place Jourdan qui suit la pente de la topographie, la volonté dans les trois cas est de redresser les sols pour générer des plateformes et travailler finement les bords par quelques marches ou une légère pente pour assurer une continuité des cheminements. Ces bords sont aussi traités par le positionnement du mobilier. Les particularités propres à la vallée orientent le choix des essences, cohérentes avec un milieu humide : saules, aulnes, bouleaux. Au sol, des plantes vivaces à grandes feuilles créent un massif qui génère une mise à distance sécurisante. C’est une autre manière encore de gérer la notion de bord : une frange large plantée contre laquelle s’adosser, tourner le dos à la circulation sans avoir recours à une clôture vis-à-vis de la voirie.
Si le projet du square a été mis en veilleuse jusqu’à nouvel ordre, Ranch est ouvert au public depuis un an et Sorelo vient d’être inauguré. Une atmosphère calme est recherchée pour Sorelo, jardin situé au pied d’un immeuble de logements. Par sa situation de proue d’îlot, Ranch occupe une position plus dynamique, plus visible aussi. C’est là que se situe une aire de jeux qu’occupe, autour et à l’ombre d’un beau platane, un grand module dessiné par GRUE sur base d’un octogone. Pour gérer la mitoyenneté, un mur en béton rouge tirant vers le rose vient générer un fond. Le sol se soulève en venant à sa rencontre. Il se poursuit en devenant un banc : il délimite l’espace de jeu sans le fermer. En pourtour, on retrouve un autre type de mobilier : deux modules de pierres taillées, assemblés par le vide. Ces deux dispositifs d’assise, de nature différente, longent la traversée sans orienter la manière de les occuper. Les publics se côtoient sans se déranger. À Sorelo, un mobilier similaire affirme une identité partagée.
C’est sur catalogue, à partir d’éléments existants, que GRUE compose l’élégant octogone sur lequel viennent s’arrimer une série de modules ludiques. Il n’y avait pas l’espace budgétaire pour inventer un jeu, produire un prototype et réaliser des tests pour répondre à la quantité de normes qui régit les jeux d’enfants. Mais la réponse est d’autant plus maligne, explorant le système de mécano et les possibles détournements au départ d’une plus simple expression. Les matériaux résistants approuvés sont mis simplement en œuvre différemment. Les trois membres de l’équipe, parents d’enfants entre trois et dix ans, prennent plaisir à dessiner cette géométrie qui se désarticule, confiants en l’imaginaire des enfants pour s’inventer leur monde. Rien de littéral donc dans ce nouveau jeu. Et sa couleur unique renforce le parti pris. Le bleu roi sera choisi par affinité, puis les autres tonalités en fonction de la gamme. Le sol de la zone de « chute », légèrement jaune sable, ultra lumineux par jour ensoleillé, tranche avec le pavage gris. Les jours plus sombres, c’est la couleur rouge rosé du mur/banc qui est rehaussée.
Les réglementations ont leur logique de sécurité, de conformité, d’entretien. Et elles peuvent donner l’impression de vivre dans un danger permanent. GRUE a fait en sorte d’offrir un lieu d’apprentissage qui accompagne les inévitables gamelles plutôt qu’il ne les empêche par tous les moyens. À travers ce projet, c’est tout un mode d’éducation et d’éveil qui est défendu. La maîtrise d’ouvrage l’a soutenu et les quatre-vingts enfants qui s’y amusent un mercredi après-midi prouvent qu’il ne faut pas nécessairement matérialiser un bateau de pirate pour naviguer dessus…