Quand le collectif BC architects se voit décerner le titre de Promising Young Architect du Brussels Architecture Prize, ce n’est pas tant pour l’ampleur relativement restreinte de son œuvre bâtie – souvent « extra muros », parfois très loin de la Belgique – que pour son approche circulaire innovante du processus de construction. À moins que ce ne soit pour le caractère remarquable de sa pratique ? En effet, BC architects est à la fois concepteur et community organizer, ainsi que producteur de matériaux de construction circulaires locaux, ou encore consultant et think tank. Nous avons rencontré Ken De Cooman, un des quatre fondateurs de ce collectif.
Pieter T’Jonck : En 2008-2009, BC était encore une plateforme artistique, l’ASBL « Brussels Cooperation ». À quel moment l’accent a-t-il été mis sur l’architecture ?
Ken De Cooman : Les choses ont commencé à changer quand nous avons rencontré le product designer Thomas Lommée. Il développait à l’époque « OpenStructures », une plateforme de design open source qu’il voulait étendre à l’échelle de l’architecture. C’est pour cela qu’il a fait appel à nous. Nous avons mis au point un processus de production où l’utilisateur final et le recyclage jouaient le rôle principal. Les cycles de vie des matériaux, de l’eau et de l’énergie en faisaient intégralement partie. Le premier modèle architectural d’« OpenStructures » fut présenté en 2009 à l’exposition « Open Structures » à Z33, à Hasselt.
PTJ : Peu de temps après, vous passez à la pratique en construisant la bibliothèque de Muyinga au Burundi.
KDC : Ce projet a été essentiel pour notre développement. Aujourd’hui encore, nous continuons à mettre en pratique ce que nous y avons appris. Nous sortions tout juste de l’université. La théorie que nous y avions apprise ne semblait pas être transposable telle quelle au Burundi. Nous devions partir d’une page blanche, avec quasi pas de budget. Nous avons reçu le soutien d’une ONG locale et de la population, en particulier de Salvator Nshimirimana, un vrai maître architecte. Il nous a appris comment construire avec des matériaux locaux tels que la pierre naturelle, le bois, le sisal et l’adobe, une brique d’argile séchée au soleil. Nous avons développé avec lui un procédé permettant de compresser ces « briques de terre crue » pour obtenir un élément de construction de meilleure qualité.
PTJ : Ce projet a immédiatement été repris à l’international. Peu après, vous avez notamment construit une école à Aknaibich, au Maroc. Vous avez aussi enchaîné avec des chantiers en Belgique, toujours avec des matériaux locaux et des techniques simples telles que la terre comprimée. Et puis, le bureau Grafton Architects, commissaire de la Biennale de Venise en 2018, vous a invité à son exposition principale. Comment l’expliquez-vous ?
KDC : Je présume que nous avons surfé sur la vague initiée par Anna Heringer avec son école au Bangladesh. Là aussi, il s’agissait d’un projet porté par la collectivité, mettant en œuvre de la terre et d’autres matériaux locaux. Par ailleurs, nous avons toujours beaucoup communiqué à propos du processus de construction au Burundi. Ne négligeons pas non plus le fait que Sint-Lukas Brussel avait invité Wes Degreef et Laurens Bekemans à donner cours. L’école était très intéressée par notre approche. Cela nous a permis de partager notre philosophie et de peaufiner la théorie.
PTJ : Vous vous distinguez également des autres architectes par le caractère hybride de votre pratique. Le bureau d’architectes, BC architects SPRL, hisse le rôle d’architecte à celui de community organiser et parfois d’entrepreneur. Parallèlement, BC materials fabrique des pierres et des enduits d’argile. Quant à l’ASBL BC studies, elle intervient comme think tank ou consultant. D’où vient cette diversification ?
KDC : Quand nous avons commencé à travailler en Belgique, nous avons surtout accepté de petits projets, des « petits bijoux », qui ont vu le jour via des ateliers organisés avec des bénévoles. On nous demandait plus en plus d’avis sur la construction circulaire. Il faut alors veiller à ce que les matériaux locaux acquièrent une image « fiable » en effectuant des études en collaboration avec des instituts de normalisation tels que le Centre scientifique et technique de la construction (CSTC). Nous y apportions notre contribution, mais il n’existait pas de producteurs sur le marché. C’est comme ça qu’est né BC materials. Nous avons par exemple mis au point des enduits à base de sable et de glaise provenant d’excavations en Région bruxelloise. BC studies, pour sa part, propose le savoir-faire, notamment dans l’enseignement. Nous participons actuellement à « Building Beyond Borders », un master en post-graduat à l’UHasselt, que nous organisons avec Rotor et Sonian Wood. Grâce à ce type de programme, nous avons désormais constitué un solide réseau européen.
PTJ : La loi de 1939 sur le métier d’architecte stipule pourtant que les architectes doivent rester indépendants : ils peuvent uniquement concevoir et superviser, sans jamais intervenir au niveau de l’exécution. Dès lors, votre démarche n’entre-t-elle pas en conflit avec les règles de l’Ordre des architectes ?
KDC : C’est un débat que nous avons provoqué nous-mêmes. Une séparation stricte des rôles de concepteur, constructeur, producteur de matériaux et normalisateur complique le développement de solutions innovantes pour les nouveaux problèmes auxquels nous sommes confrontés tels que la pollution, l’épuisement des ressources naturelles ou les émissions de CO2. C’est pourquoi, dans le cadre du Label Maître Architecte 2014, nous avons organisé un débat sur « comment faire autrement ». L’Ordre y a collaboré. Depuis, face à l’urgence de ces problématiques, le discours de l’Ordre glisse dans notre direction. Il existe incontestablement une volonté de changement. Pourtant, le législateur reste cramponné à la loi actuelle en imposant aux architectes toujours plus de tâches de supervision ayant un caractère de droit public.
PTJ : Avec votre vingtaine de collaborateurs, vous n’êtes plus des « débutants ». Comment voyez-vous l’avenir ? Avez-vous l’intention de continuer à grandir ?
KDC : Nous voulons limiter notre expansion pour pouvoir continuer à faire ce que nous faisons : une combinaison d’étude, d’enseignement, d’interventions pratiques et de conception, en collaboration avec différents intervenants. En français, on fait une distinction entre l’« usine », qui vise à augmenter sans cesse son chiffre d’affaires, et la « fabrique », où le processus, le savoir-faire et l’engagement comptent également. BC n’est pas une usine, mais une fabrique. Nous voulons continuer à créer des projets qui inspirent, tant en termes de spatialité que de processus. Aujourd’hui, nous sommes capables de prendre en charge des projets de plus grande envergure. Nous travaillons actuellement avec le collectif britannique Assemble à l’infrastructure de l’« Atelier Luma » à Arles. Ce projet de la Fondation Luma est placé sous la direction artistique de Jan Boelen, qui nous avait présentés à Z33 en 2009. Nous y développons de nouveaux matériaux tels que des enduits à base d’algues, de déchets provenant des exploitations minières et agricoles, etc. Cela nous permet de recycler les flux de déchets biorégionaux. Ils ont été testés et prototypés, et le chantier est en cours depuis quelques mois. Nous sommes impatients de voir le résultat!



